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L’établissement d’un consensus et l’utilisation de données probantes pour influencer les politiques dans des environnements complexes peuvent être particulièrement difficiles lorsque la polarisation politique est ancrée. Les décideurs politiques, tout comme la société civile peuvent commencer à se replier vers des positions idéologiques basées davantage sur la surenchère que sur une politique fondée sur des preuves. Cette situation peut avoir un effet corrosif sur la participation du public, sachant que les citoyens reçoivent des informations inexactes et deviennent de plus en plus partisans. À leur tour, les hommes politiques et les décideurs ont plus de pouvoir pour promouvoir des politiques à court terme et réactives, en ignorant les implications à long terme et en évitant le consensus.

Ce fut le scénario au Salvador en 2014, lorsque l’IBP a commencé à travailler avec un groupe diversifié d’organisations de la société civile (OSC) pour examiner la viabilité des dépenses sociales. En prise à une crise financière qui menaçait la capacité du gouvernement à s’acquitter des obligations de retraite, le pays était dominé par une polarisation politique qui entravait des réformes significatives.
L’IBP et ses partenaires ont utilisé différentes stratégies pour influencer le débat sur la réforme des retraites au Salvador. Il est important de souligner qu’en plus de produire des preuves pour les décideurs, nous avons travaillé sur la socialisation des données fondamentales avec le grand public.
Parcourir la polarisation politique
Notre stratégie initiale visait à tenter de combler les divergences politiques. Avec nos partenaires, nous avons organisé un forum qui a réuni des fonctionnaires et des représentants de la société civile provenant de l’ensemble du spectre politique. En présence d’un expert de la Banque mondiale sur les retraites qui a permis une discussion sur les aspects critiques des systèmes de retraite, nous avons conçu une ordre du jour comprenant différents points de vue tout en gardant à l’esprit le problème unificateur : comment éviter qu’un gouvernement ne parvienne pas s’acquitter des obligations de retraite.
Dans le même temps, nous savions que nous ne devions pas nous limiter à un cercle étroit de décideurs et de personnes influentes pour impliquer le public dans ce débat crucial. Comme dans de nombreux pays, le Salvador manque d’espace formel pour que les citoyens participent aux décisions budgétaires, nous nous sommes donc engagés avec différentes organisations de la société civile pour établir des preuves et attirer l’attention sur ce problème.
À cette fin, nous avons travaillé avec Grupo Técnico de Sostenibilidad Fiscal (Groupe technique sur la viabilité budgétaire) dans le but de sensibiliser la formulation à huit clos de la réforme des retraites du gouvernement. Avec les recherches sur les coûts et les implications des différents scénarios de réforme des retraites, dirigées par Fundación Nacional para el Desarrollo (Fondation pour le développement national ou FUNDE), nous avons également aidé le groupe de réflexion Fundación Dr. Guillermo Manuel Ungo (Fondation du Dr Guillermo Manuel Ungo ou FUNDAUNGO) à produire un mémoire expliquant comment le dialogue social pouvait contribuer à légitimer les institutions publiques. Les deux organismes ont organisé des événements publics pour partager ces idées avec des secteurs plus larges de la société civile et contribué à déplacer le débat afin qu’il soit plus inclusif et fondé sur des preuves.
Pour apporter de nouvelles perspectives, FUNDAUNGO a organisé une conférence sur la réforme des retraites en Amérique latine, à laquelle des experts de l’Université de Pittsburgh et de la Commission présidentielle chilienne sur le système de retraite ont rencontré des fonctionnaires du ministère des Finances.
De la production de preuves à la résistance contre une proposition inadaptée
L’exécutif a finalement envoyé un projet de proposition de la réforme des retraites à l’Assemblée nationale au mois de février 2016. L’exécutif proposait un système mixte dans lequel les économies existantes seraient transférées vers un régime public et les retraités pourraient faire des contributions privées supérieures au montant financé par l’État. Malgré le manque de contributions de la société civile, beaucoup d’entre eux s’attendaient à ce que la proposition soit estampillée par la législature. Étonnamment, cependant, l’Assemblée décida d’organiser des audiences publiques et invita des membres de la société civile.
Les OSC ont apporté une variété de points de vue pendant les audiences : le groupe de réflexion Fundación Salvadoreña para el Desarrollo Económico y Social (Fondation pour le développement économique et social du Salvador ou FUSADES) a plaidé en faveur du système d’investissement privé et a exprimé ses inquiétudes sur les ajustements fiscaux proposés ; FUNDAUNGO a relevé le manque de détails et, en suivant l’exemple du Chili, a insisté pour avoir un dialogue ouvert avec les travailleurs ; et FUNDE a placé l’accent sur la viabilité et l’équité du système, qu’il soit mixte ou non.
Dans le même temps, un consensus se dégageait entre les institutions financières internationales selon lequel même si la proposition était susceptible d’atténuer certaines contraintes financières à court terme, elle avait peu de chances d’être viable sur le long terme. L’inquiétude à l’égard de la proposition était croissante lorsqu’une campagne médiatique financée par le secteur privé l’a qualifiée de « cambriolage du siècle », expliquant qu’il s’agissait d’une manœuvre gouvernementale visant à détourner plus facilement les économies des retraites à d’autres fins. Face aux fortes pressions de toutes parts, l’Assemblée nationale rejeta la proposition en mai 2016.
Les éléments de preuve ont joué un rôle important dans la résistance à la proposition du gouvernement. Même si les recherches des OSC ont eu un impact limité pour influencer l’exécutif, elles se sont avérées essentielles pour tirer pleinement parti des audiences publiques et conduire les débats dans la bonne direction. Pourtant, les preuves à elles-seules ne suffiraient pas à combler le fossé idéologique ni à établir une participation plus large des citoyens. Compte tenu du large éventail de perspectives, les OSC de l’ensemble du spectre politique ont convenu qu’un dialogue social plus large était nécessaire.
Raviver le débat et la participation du public
Nous étions conscients qu’il fallait lutter contre la désinformation et socialiser le débat si nous devions améliorer la participation du public concernant les retraites. Iniciativa Social por la Democracia (Initiative sociale pour la démocratie ou ISD), une organisation communautaire bénéficiant d’un soutien solide au niveau local, était un partenaire idéal pour y parvenir.
Après avoir complété une étude sur le financement des retraites dans 16 municipalités, ISD a lancé une campagne sur le droit à l’information et la participation destinée aux jeunes et aux communautés locales qui ciblait les retraites. L’organisation a également obtenu un temps de parole sur la radio nationale et a organisé une tournée dans laquelle des experts ont fourni des documents et ont répondu aux questions liées aux retraites. Parallèlement, FUSADES a lancé une série vidéo expliquant le fonctionnement des retraites et comparant la proposition de réforme du gouvernement au système existant. L’organisation a également consolidé les ressources liées aux régimes de retraite dans un inventaire en ligne.
Le fait d’ouvrir les voies du dialogue et de l’information pour encourager une participation informée s’est avéré aussi important que les propositions politiques spécifiques du gouvernement.
L’impact de notre travail
Les différents points d’entrée pour influencer le débat sur la réforme des retraites ont donné des résultats. Aujourd’hui, les Salvadoriens peuvent accéder plus facilement à l’information sur les retraites, et d’après les sondages d’opinion, sont plus conscients du lien entre les fonds de pension et l’administration fiscale. Les mouvements sociaux des retraités ont commencé à participer davantage et à exiger l’accès à des informations plus spécifiques sur les retraites
En réponse aux travaux de l’ISD, le gouvernement s’est engagé à poursuivre le financement du régime de retraite universel. De manière plus générale, Roberto Lorenzana, le Secrétaire à la planification technique de la Présidence, a reconnu publiquement les lacunes dans la mise en œuvre de la Loi universelle sur la protection sociale et le développement, et a accepté de créer un espace pour les délibérations techniques sur les questions de développement et de protection sociale. Il a récemment reconnu que la viabilité à long terme représentait un problème, et a accepté de travailler avec la Banque interaméricaine de développement pour améliorer la proposition et la situation financière.
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