Engager une action en justice en matière de plaidoyer budgétaire : Considérations sur le litige à visée stratégique

Jul 26, 2016 | Advocacy, Civil Society Organizations | 0 comments

Par <a href="https://archive.internationalbudget.org/who-we-are/staff/" target="_blank">Delaine McCullough. International Budget Partnership</a>

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Au fil des années, l’International Budget Partnership (IBP) a documenté les campagnes de la société civile  qui ont combiné l’analyse budgétaire avec d’autres outils de plaidoyer pour améliorer la gestion des fonds publics et la fourniture des services publics. Parmi ces outils, l’on compte le litige à visée stratégique.

Intenter une action en justice contre le gouvernement peut être une entreprise risquée et consommatrice de ressources, alors pourquoi le faire ? Certes, dans de nombreux cas, le litige peut être un moyen efficace pour que des parties en désaccord sur la façon d’utiliser les ressources publiques indiquent clairement leurs positions avant un forum. Par ailleurs, au vu de la récente tendance inquiétante des gouvernements à vouloir limiter l’espace politique pour la société civile, le litige peut souvent être l’option la plus viable pour les OSC qui souhaitent le changement social.

Nous avons vu comment les OSC ont utilisé l’action en justice pour inciter les gouvernements à agir sur un certain nombre de fronts, y compris :

Credit: Dejusticia
Credit: Dejusticia

D’autres facteurs peuvent expliquer le litige comme moyen efficace de plaidoyer. Par exemple, de nombreuses préoccupations de la société civile relèvent des engagements des gouvernements sur les droits humains. Ces droits sont de plus en plus reconnus dans le droit national, ainsi que dans les constitutions et les législations nationales et municipales. Cette reconnaissance a donné aux OSC l’occasion d’engager des poursuites contre les gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations et a conduit à un nombre croissant de décisions judiciaires visant à faire respecter les obligations des droits humains, ce qui augmente l’impact potentiel d’un litige.

Les affaires judiciaires attirent souvent la couverture médiatique, l’attention sur le problème en cause et augmentent la pression sur le gouvernement. Il n’est parfois même pas nécessaire de déposer une plainte – si votre organisation a la réputation de recourir aux tribunaux pour obliger le gouvernement à rendre des comptes, la « menace d’un litige » peut être suffisante pour obliger le gouvernement à prendre note et à  faire les réformes nécessaires Enfin, lorsque vous gagnez la procédure judiciaire, la reconnaissance juridique de votre position peut être extrêmement puissante.

Il est clair que les OSC s’intéressent de plus en plus aux poursuites judiciaires dans leur plaidoyer ; cependant, le fait de se lancer dans un litige pose certains défis et risques.

Les dangers potentiels du litige stratégique

Dans toute poursuite judiciaire, le coût est probablement le facteur majeur à prendre en compte, sachant qu’il peut amplifier les autres risques. Votre organisation doit disposer d’une expertise juridique interne ou doit avoir accès à des avocats et, si la décision du tribunal n’est pas en votre faveur, vous pourriez non seulement perdre tout que vous avez dépensé sur l’affaire, mais également être responsable de tous les frais de l’autre ou des autres parties. Alors que certains procès sont réglés en un an ou deux, un litige est généralement un processus long, sachant que certaines affaires prennent plus d’une décennie à résoudre. La plupart des OSC souhaiteront continuer à faire campagne pendant le processus judiciaire, ce qui peut s’ajouter aux coûts.

Même si votre argument juridique est étayé par des preuves solides, rien ne dit que vous gagnerez. Votre affaire pourra être présentée devant un juge qui s’oppose à votre position et qui rendra une décision défavorable à votre encontre. Ou bien le juge peut refuser ou être mal préparé à se prononcer sur des questions très techniques et la façon dont elles sont intégrées dans d’autres politiques et priorités. Enfin, les juges font généralement très attention à ne pas outrepasser leurs responsabilités d’interprétation et à assurer le respect de la loi dans son application et du principe de séparation des pouvoirs, qui attribue des fonctions, des tâches et des responsabilités spécifiques entre le corps exécutif, le corps législatif et le corps judiciaire.

Un des risques du litige est de perdre l’affaire, un autre est que vous pouvez la gagner mais que la décision (les actions spécifiques que le tribunal ordonne au gouvernement de prendre) ne sera peut-être pas celle que vous recherchiez. Par exemple, dans la poursuite de l’accès universel à l’éducation, vous pouvez demander la construction de plus d’écoles pour accueillir des classes plus petites et raccourcir les distances que les enfants doivent parcourir. Mais l’ordonnance du tribunal pourra obliger le gouvernement à fournir un accès, ce qui laisse les options indésirables ouvertes comme simplement mettre plus d’enfants dans les espaces existants. Il peut également arriver qu’une victoire juridique soit compromise par une mauvaise mise en œuvre de l’ordonnance du tribunal. Une étude de cas publiée récemment par l’IBP a montré qu’après la victoire juridique de l’ACIJ contre la ville de Buenos Aires, l’organisation a dû utiliser de nombreux autres outils de plaidoyer pour assurer que la décision du tribunal soit mise en œuvre avec efficacité.

Sachant que les litiges contournent le processus politique régulier, ils sont susceptibles d’isoler certaines décisions sur l’utilisation des ressources publiques sans tenir compte des autres besoins et priorités. Cela peut éventuellement fausser les choix sur la façon de mieux utiliser des fonds limités. Enfin, une action en justice pourrait saper les efforts visant à établir des relations de travail plus collaboratives avec les gouvernements, même si les gouvernements ne sont pas monolithiques et qu’un procès contre un segment du gouvernement pourra ne pas affecter un travail productif avec les autres. En outre, dans certaines situations, des alliés parmi les cadres intermédiaires du gouvernement sont en faveur des changements apportés par l’action en justice.

Huit conseils efficaces en cas de litige

Malgré les risques, il existe certains avantages potentiels importants en cas de litige. Afin de maximiser ces derniers et de réduire les risques, voici huit conseils pratiques que les OSC doivent prendre en compte devant le tribunal :

  1. Utilisez les preuves de votre analyse et de votre suivi budgétaire pour renforcer vos arguments en faveur de l’action du gouvernement et pour contrer toute affirmation du gouvernement selon laquelle le manque de fonds publics explique l’insuffisance, voire l’inexistence, des services publics.
  2. Pour atténuer la pression directe sur votre organisation, pensez à faire appel à d’autres parties plaignantes.
  3. Poursuivez vos autres activités de plaidoyer pendant l’action en justice – les poursuites judiciaires sont longues et vous pourrez obtenir les résultats que vous souhaitez avant toute décision du tribunal.
  4. Mobilisez le soutien de ceux qui seront concernés par l’issue de l’affaire. Cela est particulièrement important pour la mise en œuvre des décisions positives.
  5. Soyez prêt à avoir une base solide (à savoir, de traces, des preuves, des histoires écrites, etc.) pour votre défense au fil du temps.
  6. Développez les compétences nécessaires pour travailler avec des avocats. Les OSC doivent apporter leurs connaissances financières dans leurs discussions avec les avocats, et doivent également comprendre le cadre juridique. Dans de nombreux pays, il existe des organisations comme des centres de ressources juridiques qui peuvent vous aider dans ce domaine. Il convient de les identifier.
  7. Comprenez comment les autres activités de sensibilisation (médias, pression du public) peuvent influencer les tribunaux et réfléchissez à la meilleure façon d’atteindre vos objectifs de campagne.
  8. Fournir au tribunal des précisions détaillées sur la solution que vous cherchez afin d’éviter de remporter l’affaire tout en ayant obtenu un recours faible ou potentiellement inefficace.

Bien qu’une action en justice comporte certains risques, les gains potentiels pour les défenseurs de la société civile sont énormes. La solution consiste à être stratégique dans un litige stratégique L’IBP continuera à étudier comment utiliser le litige stratégique comme outil de plaidoyer, et comment ajuster la situation lorsque les choses ne se passent pas comme prévu.


Cet article est tiré d’une discussion sur le litige stratégique pendant la réunion des membres d’un réseau d’apprentissage des groupes de la société civile en juin 2016 qui ont participé à l’analyse et au plaidoyer budgétaires à Barcelone, Espagne. L’IBP a organisé la réunion du réseau, et la discussion sur les litiges a été enrichie par les  idées et les expériences de Dalile Antunez, co-directeur de l’Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia (ACIJ, Argentine) ; Diana Guarnizo, coordinatrice de recherche à  Dejusticia (Colombie); et Jay Kruuse, directeur du  Public Service Accountability Monitor (PSAM, Afrique du Sud).

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